Académie Shotokan
Enfants : comment enrayer l’épidémie de myopie ?

Enfants : comment enrayer l’épidémie de myopie ?

Dans les pays industrialisés, ce trouble de la vue explose depuis quelques décennies. Comment l’expliquer… et protéger les plus jeunes ? Le point avec les experts.

 Par Lise Bouilly

 Enfants : comment enrayer l’épidémie de myopie ?

Les chiffres donnent le tournis : on prévoit 1,4 milliard de myopes dans le monde en 2020, 5 milliards en 2050, soit la moitié de la population mondiale. Preuve, s’il en faut, d’une myopie galopante. « On sait que 15 % de la population asiatique (Chine, Japon, Taïwan, Corée…) était myope il y a soixante ans, un taux qui atteint aujourd’hui 90 % chez les adolescents de ces pays ! », souligne le Pr Nicolas Leveziel, ophtalmologiste. En France, plus de 40 % de la population est myope contre 20 % il y a vingt-cinq ans. Une « explosion » que confirme une vaste étude sur huit années et 4,7 millions de personnes (dont 621 000 enfants de 0 à 18 ans) menée par le service d’ophtalmologie du CHU de Poitiers en partenariat avec Krys Group. Selon les résultats préliminaires, la myopie survient de plus en plus tôt, puisque 27 % des enfants entre 0 et 6 ans présentent déjà ce trouble de la vue, et ils sont 44 % à 18 ans. Autant dire que tout se joue avant l’adolescence. Mais que faire ? Le « myopia boom » interpelle les experts dans le monde entier et la recherche s’emploie à en comprendre les raisons. Des premières explications se dessinent…

Des causes génétiques, mais pas seulement

Pourquoi devient-on myope ? Des facteurs génétiques sont impliqués, en particulier dans les fortes myopies. « Un enfant avec un parent myope a environ un risque sur trois de l’être à son tour. Avec deux parents myopes, ce risque passe à un sur deux », note le Dr Marc Timsit, administrateur du site ophtalmologie.fr. Mais la génétique n’explique pas tout, « en témoigne la population des Inuits en Alaska où 2 % de la population était myope il y a quelques décennies… contre 50 % des enfants aujourd’hui ! Ce qui illustre bien la présence de facteurs environnementaux évidents », constate le Pr Nicolas Leveziel. Une étude portant sur 61 946 individus menée par des chercheurs londoniens confirme l’épidémie de myopie en Europe et la relie à l’élévation du niveau d’éducation. En effet, les personnes avec un niveau d’études supérieur présentent des niveaux de myopie deux fois plus élevés ! Ce qui laisse à penser que le temps exponentiel consacré à des tâches qui sollicitent la vision de près (lecture, écriture, écrans…) pourrait constituer un facteur de risque. « Or la vision de près est une vision d’effort, car la position de repos naturelle pour l’œil est celle qui permet une vision à cinq ou six mètres », indique la porte-parole de l’Association nationale pour l’amélioration de la vue (Asnav), Catherine Jégat. Le problème ? « L’œil pourrait augmenter sa longueur en cas de sursollicitation de la vision de près », ajoute Marc Timsit. Or un œil myope a une forme allongée.

La lumière du jour pour protéger

On ne sait pas encore si la lumière bleue des écrans, potentiellement pathogène pour la rétine, est impliquée dans la survenue de la myopie. « En revanche, il est démontré que la lumière du jour est protectrice. On sait donc que les enfants, qui passent de moins en moins de temps à l’extérieur, ne sont pas suffisamment exposés à la lumière naturelle », informe le Dr Leveziel. Nos bambins souffriraient d’un manque de dopamine, une hormone synthétisée à la lumière du jour : sa sécrétion au niveau de la rétine freinerait l’allongement excessif de l’œil. La bonne durée : quatre-vingt-dix minutes d’exposition quotidienne à la lumière du jour. Ce qui revient à multiplier les activités de plein air mais aussi à limiter le temps passé devant les ordinateurs ou autres smartphones. Surtout que, en France, les 4-14 ans consacrent environ trois heures par jour aux écrans ! « Il faut aussi apprendre aux enfants à reposer leurs yeux quand ils sont devant un écran, conseille Catherine Jegat. L’idéal : un quart d’heure de vraie pause tous les trois quarts d’heure. »

Des lentilles de nuit dès 6-7 ans

Essentiel aussi : « Faire contrôler la vue de l’enfant dès l’âge de 3 ans, surtout si les parents et la fratrie sont myopes, avant l’entrée à l’école maternelle puis avant 6 ans et à l’école élémentaire, suggère Patrice Camacho, directeur santé de Krys Group. Si on ne rectifie pas assez tôt une vision floue, on peut aggraver son évolution. » Plus un diagnostic est posé tôt, mieux les ophtalmos peuvent intervenir en prévention de fortes myopies. Il existe des lentilles semi-rigides de nuit, que l’enfant peut porter dès l’âge de 6-7 ans, qui modifient la courbure de la cornée et permettent de voir sans lunettes toute la journée. « Des études suggèrent que cette technique, l’orthokératologie, en réduisant la progression de l’allongement de l’œil, freine de façon importante l’évolution de la myopie », souligne le Dr Damien Gatinel, chef de service à la Fondation Rothschild, à Paris. Mais l’orthokératologie concerne les myopies légères à moyennes, jusqu’à – 6 dioptries. Autre piste : le recours à l’atropine, un collyre utilisé pour dilater les pupilles. « Ces gouttes, à condition qu’elles soient très faiblement dosées (0,01 %), réduiraient de 50 % la progression de la myopie, avec peu d’effets secondaires chez l’enfant », rapporte le Pr Leveziel. Mais combien de temps poursuivre le traitement? Existe-t-il un effet rebond quand on arrête ? On ne le sait pas. Ce médicament est utilisé en Asie contre la myopie, mais en France… A suivre donc.

A consulter

Le site de l’association de patients souffrant d’une myopie forte et pathologique : amam-myopie.fr.

Un œil trop long

La myopie se caractérise par une vision floue de loin, « un trouble qui survient le plus souvent lorsque l’œil est trop long. La distance entre la cornée et la rétine devient alors plus importante que la normale », explique le Dr Marc Timsit, chirurgien ophtalmologiste. Résultat, l’image perçue d’un objet éloigné ne se forme plus sur la rétine mais sur un plan en avant de celle-ci, ce qui la rend floue. « Ce phénomène débute généralement pendant l’enfance, souvent entre 6 et 9 ans. Or plus l’âge d’apparition de la myopie est précoce, plus le risque d’une forte myopie (évaluée à – 6 dioptries et plus) est élevé à l’âge adulte », poursuit le spécialiste. A noter : si dans 80 % des cas environ la myopie se stabilise à une vingtaine d’années et se corrige bien, il arrive que la longueur de l’œil continue de croître tout au long de la vie et que la myopie atteigne des valeurs supérieures à – 8 dioptries. Ce qui décuple les risques, inhérents à toute myopie, de fragilité rétinienne (décollement de la rétine…), de glaucome (destruction du nerf optique) ou encore de cataracte (opacité du cristallin) précoce. La myopie n’est pas un simple trouble de la vue, elle peut entraîner des complications graves. D’où l’importance de prévenir son apparition et de limiter sa progression…

 

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https://www.femina.fr/article/enfants-comment-enrayer-l-epidemie-de-myopie